Il y a des moments ou l'actualité vient nous couper herbe sous le pieds : j'avais commencé un post sur Lucien Clergue, suite à la disparition de son ami Manitas de Plata, et voici que c'est Clergue lui-même qui décide de rejoindre son copain .Ça doit bringuer grave là-haut, avec Manitas, Cocteau, Picasso et Eluard, ils doivent avoir bien des choses à se dire après le bout de chemin parcouru ensemble ici-bas.
J'avais envie de revenir sur l'expo « Lucien Clergue … à corps et âme » organisée au musée des tapisseries d'Aix et que j'ai eu le plaisir de visiter il y a quelques semaines : une fois en visite libre, et le lendemain en visite commentée (et en comité réduit de 4 personnes!), laquelle s'est avérée précieuse : des clés de lecture, des informations sur les techniques employées, mais en laissant chacun libre de ses interprétations face aux images.
L’exposition était organisée en 2 parties : les « nus zébrés » et les « surimpressions ».
Pour ce qui est des nus, de belles photos en noir et blanc de corps habillés d’effets d’ombre et de lumière, un jeu de contre-jour avec un store vénitien dessinant une sorte de calligraphie sur les dos ou les ventres. Jamais de visage, un grain photographique rappelant de façon étonnante celui de la peau, et le corps devient à la fois graphique et sensuel.
L’autre partie de l’expo est celle qui m’a le plus plu, c’est celle consacrée aux surimpressions.
Côté technique, elles sont obtenues en réutilisant une pellicule argentique déjà impressionnée. Le résultat est surprenant et saisissant : on entre dans un monde onirique où nus et scènes de tauromachie se mélangent à l'art religieux ou autre tableaux mythologiques. Un dialogue d'ombres, de couleurs et de formes créant une sorte d'œuvre gigogne, où le hasard donne naissance parfois à de petits miracles de composition. Dieu sais que je déteste la corrida mais 3 compositions autours des scènes de tauromachie m'ont particulièrement marquée. Ici, la figure d'un priant du tombeau des ducs de bourgogne vient rencontrer celle d'un torero, comme une personnification de la mort faisant face à son ouvrier ; là, la silhouette de saint Georges (ou saint Michel?) terrassant le dragon se superpose à la tête d'un taureau gisant vaincu, comme si l'ange venait de transpercer lui-même l'animal de sa lance; et là encore, un squelette ailé étendant ses bras au-dessus d'une foule occupée à regarder le spectacle sanglant. Aujourd'hui ce résultat serait sans doute facile à obtenir avec un logiciel adapté mais là le miracle tient justement au jeu du hasard et de la virtuosité dans l'utilisation de l'argentique. J'imagine l'artiste archivant ses pellicules, croquant la scène sur un carnet pour se souvenir de chaque photo, puis parcourant les musées pour trouver l'image complémentaire qui créera l'œuvre.
A lire les commentaires laissés dans le livre d'or de l'expo, les photos de Clergue continuent de ne laisser personne indifférent. Accusé de perversion par les cul-bénis choqués par le « détournement »de peintures religieuse (comme si l'ambiguïté sensuelle n'avait jamais été présente dans l'art sacré!) ou de « pseudo -artiste d'extrême gauche » par ceux qui disent que « ces photos n'apportent rien aux tableaux il vaut mieux aller les voir en vrai » (comme si le photographe avait décidé que finir le travail commencé par le peintre ou se devait se borner à reproduire l'existant comme dans un catalogue )... Il faut croire que les aixois sont traditionalistes !!!
Pour ma part je me rangerai sans hésitation du côté des enthousiastes et vous encourage à aller découvrir par vous-même cette œuvre.
Une autre expo est d’ailleurs visible encore jusqu'en janvier au musée Réatu d'Arles je compte bien aller y faire un tour prochainement !
http://www.museereattu.arles.fr/les-clergue-d-arles.html