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Occident-Express - Page 43

  • Transition

    Il s’agit sans doute de continuer, mais sans «mode d’emploi » ce n’est pas toujours limpide ni évident. Reprendre ou recréer des habitudes, lesquelles ne font souvent que mettre ne lumière l’absence. Tiens, par exemple, pourquoi faut qu’il y ait Noel cette année ?

    Il me faut vivre aussi avec des images difficiles qui reviennent quand je ne m’y attends pas, avec des réactions émotionnelles, parfois  excessives, à des choses anodines. Je repensais à ce sujet, à ce passage de l’Insoutenable légèreté de l’être ou Sabina parle de l’enterrement de son père et de la manière dont elle écoute en boucle une symphonie de Mahler qui y sera diffusée, jusqu’à ce que cette musique ne lui fasse plus rien.

    Et puis il y a la maison à vider, placard par placard, tiroir par tiroir. Investigations indiscrètes mais comment faire autrement ? Trier et partager, ce qu’on conserve, ce qu’on ne garde pas, ce que l’on donne, ce que l’on jette … Je ne peux m’empêcher de trouver un « je-ne-sais quoi » d’indécent à ces tractations de partage, j’aimerais le penser comme un ultime cadeau pourtant j’ai l’impression de voler quelque chose. Pour autant j’arrive difficilement à laisser partir les choses, comme ces vieux gants de cuir qui ne vont à personne, mais que j’ai voulu garder quand même.

    Je trouve parfois que ma mère mets trop d’empressement à vouloir faire ce travail de dispersion, comme s’il y avait urgence à vider les meubles de leur contenu, puis les pièces de leurs meubles, etc. Je ne ressens pas cette urgence, au contraire, j’aurais bien laissé passer un peu de temps encore avant de me déterminer sur ces points. Peut-être parce que tant que les objets sont en place c’est un peu comme si la mort n’avait pas tout à fait gagné, peut être aussi qu’il me faut me consolider encore un peu pour être capable du discernement nécessaire.

    Un pas après l’autre.

  • Demain

    Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
    J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
    Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.


    V. Hugo

  • Dernier jalon

    Ce matin, les obsèques, dernier jalon de ces jours, avant l’absence totale.
    Je suis restée prés d’elle tant que j’ai pu, jusqu’à ce que le cercueil soit refermé, pendant qu’il l’était. C’était naturel, nécessaire, même. Arrivée très tôt, j’ai profité d’un dernier un instant seule avec elle pour glisser, tout contre son épaule, la version manuscrite des quelques lignes pour elle réclamées par le curé. J’ai voulu lui toucher la joue, mais elle était glacée, si froide alors qu’aux derniers moments de sa vie, quand je lui caressais le front à l’hôpital, elle était brulante de fièvre. Assez vite les gens sont arrivés, nous nous retrouvions nombreux dans le petit salon où elle reposait, j’étais contente d’être venue très tôt pour avoir ce petit moment encore de tête à tête, juste nous deux, pour lui dire encore quelques mots sans témoins.
    Est venu enfin le moment de la fermeture du cercueil, les volants rabattus, le couvercle ajusté et vissé, le moment où la dernière image disparait, où il n’y a plus une personne mais une boite en face de nous.

    La célébration à l’église n’a pas été très longue mais finalement ce prêtre a trouvé des mots assez justes. Il a parlé des 4 cadeaux fait en Arles  la naissance d’un enfant : le pain, pour que chacun soit nourriture de l’autre dans la générosité, le sel, pour la sagesse, l’œuf, pour que la vie soit pleine et féconde, et les allumettes, pour la lumière et la droiture. J’ai aimé cette symbolique et la manière dont il l’a déclinée dans l’évocation de la vie de ma grand-mère.
    Tout cela lui ressemblait. Je l’ai laissé lire mon texte car je n’ai pas eu le courage de le faire moi-même, comme je le pressentais : sa voix assurée a donné la clarté qu’il fallait pour porter ces paroles, qu’elles soient entendues, partagées, sans parasite ni médiocrité.

    Il avait posé une petite bougie sur le cercueil, allumée pendant toute la cérémonie. A la fin, il l’a éteinte et me l’a donnée. C’était comme un message, comme pour me dire que cette vie, cette personne qui s’est éteinte là, c’est de ma responsabilité aujourd’hui de la perpétuer. Comme un témoin que l’on remet, que l’on confie pour dépasser l’étape et continuer, successivement mais ensemble. C’était étrange et j’ai du mal à le formuler.

    Après la cérémonie, les condoléances, les gens qui défilent et vous embrassent, certains réellement émus, certains qui vous délivrent un petit mot ou une anecdote, ceux que je ne connaissais pas.

    Au cimetière ensuite, un dernier geste avant de descendre le cercueil dans le caveau, une caresse sur le bois, un baiser déposé sur la plaque, et il est l’heure du plongeon.
    Son cercueil est installé à coté de celui de mon grand père, puis la plaque est scellée à nouveau, la terre remise en place, les fleurs déposées. Je redoutais cet instant mais finalement ce n’était pas pire que le reste . La page se tourne ici définitivement . A partir d’aujourd’hui il va falloir apprendre à vivre sans elle.