Occident-Express - Page 73
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Moonlight serenade
C'est le printemps à Boston. Et cest bien joli. Le magnolia du coin de rue est couvert de grosses fleurs roses et charnues, les arbres de Kendall Square dégoulinent de pétales blanches et de petites feuilles vert tendre.Les crocus et les jonquilles ont éclos dans les jardins. La température est remontée et approche les 20 degrés dans la journée. Les pigeons poursuivent les pigeonnes avec un air polisson, et les étudiantes de Harvard ont sorti leurs minijupes. Bref, c'est le printemps!Jeudi soir, à l'occasion de la pleine lune, nous sommes allés faire du voilier sur la Charles.
Ce divertissement est organisé par des gens du MIT, lequel possède un club de voile, et a lieu tous les soirs de pleine lune d'avril à octobre (en gros, tant que la rivière est navigable).Hier soir donc, c'etait la 1er séance de la saison.
Comme en août dernier, nous nous sommes retrouvés a partir de19h 30, au club nautique du MIT, autours du barbecue sur le quai . L'air est doux et le vent humide. Nous devisons pendant que grillent les saucisses, épis de mais et autres travers de porc marinés.Les bateaux sont de petits voiliers contenant de la place pour six personnes ; une fois assis, on peut toucher l'eau du bout des doigts sans trop se pencher, et on doit faire attention à ne pas se faire scalper par la voile quand le bateau vire de bord.Une fois réglé le destin des saucisses, nous embarquons. Cette fois c'est GG qui est à la barre, présentée par Chris comme a very good sailor "avec la tête sur les épaules" (voila qui est rassurant !)Cherry on the cake, nous avons pour compagnons inattendus les chiens respectifs de GG et de Chris. Imaginez vous dans une coquille de noix, avec les pieds entortillés dans les cordes, un molosse grassouillet répondant au doux nom de Bobo installé sur vos genoux et décidé à vous laver la figure à coup de langue, et une voile manquant de vous estourbir a chaque tournant, et vous aurez une idée de ce à quoi ressemblait la croisière. Enfin, il faut croire que ces animaux avaient la "patte marine" à les voir se balader sur le voilier, de la proue à la poupe comme sur une pelouse.Indépendament de ça, et même si comme moi on n'a pas le pieds marin, c'est vraiment une expérience sympa.La pleine lune a joué la coquette, se drapant de nuages avant de se découvrir complètement, comme un gros miroir brillant. Le ciel s'étant dégagé, on pouvait voir la grande ourse et l'étoile polaire.Et, bien sur, Boston by night. La constellation des buildings de la Back Bay, sur une rive, éclairés intentionnellement à leur sommet et de facon aléatoire ( qui a oublié la lumière dans son bureau en partant ? qui fait des heures sup' ?) sur leurs facades.De l'autre, le MIT.
Le passage du T sur le Longfellow bridge, qui relie Cambridge et Boston.Cet été, entre deux tours de bateau, nous étions allés boire une bière chez Muddy's, un bar dans le MIT. Ce qui nous avait valu la remarque suivante, alors que nous tentions de rejoindre l'extérieur verre a la main : " Hey, you're not in New Orleans !" (comment ca, les gens de la Nouvelle Orléans sont des dépravés qui consomment de l' alcool dans la rue -chose interdite dans le très 'comme-il-faut' Massachusets !) -
Traviata
J'ai passé hier soir une délicieuse soirée à l'Opéra.Bien sur, le Shubert theatre, où se déroulait la représentation, n'est pas le Met', c'est une salle de taille et d'apparence beacoup plus modeste. Mais peu importe. La troupe était constituée de jeunes chanteurs, américains pour la plupart, le role titre étant tenu par une jeune soprano russe, Dina Kuznetsova, qui nous a épatés. Nous étions au dernier rang de la "mezzanine",(en gros, être plus loin,c'était être dehors ou sur le toit) mais grâce aux proportions réduites de la salle et aux jumelles que nous avions eu la bonne idée d'acquérir, nous pouvions suivre les chanteurs aussi bien qu'au parterre.Esthétiquement, c'était très réussi. De très beaux costumes, hauts en couleurs et parfaitement servi par les éclairages et par une mise en scène créative mais sans excentricités qui auraient pu dénaturer l'oeuvre.Ainsi, le 1er acte se déroule dans une harmonie de rouges, rendant bien le faste de la fête chez Violetta. Par contraste, la 1er scène du 2e acte est blanche, très sobre, laissant toute la place au dialogue entre les personnage. La deuxième scène du 2e acte renoue avec le côte luxueux, sous le signe du bleu et du violet, avant de revenir à une grande sobriété pour le dernier acte, Violetta mourant dans la pauvreté et le dénuement, Cette alternance de dépouillement et de glamour mettait parfaitement en valeur le propos de chaque scène . Les moments festifs, brillants, étaient parfaitement rendus à la fois par l'intensité des couleurs et le jeu de scène, composant de très beaux tableaux, et lors des moments d'intensité dramatique, l'absence de fioritures resserrait toute l'attention sur le(s) chanteur(s).Que dire des voix ? Si l'ensemble des chanteurs a été bien applaudi, la soprano a eu droit a une standing ovation amplement méritée. Actrice en plus d'être chanteuse, elle incarnait une Violetta vibrante, expressive et captivante. Je reconnais y être allée de ma petite larme, notamment sur l'air du dernier acte " addio del passato..." Si, au tout début, j'ai eu un moment de doute en trouvant ses aigus un peu raides, cette impression a très vite disparu : sans doute un effet du trac au moment d'entrer en scène. J'ai été impressionnee par sa manière de chanter les pianissimi sur les notes hautes, sans jamais affadir ni “blanchir” le son. Waouh.Le ténor qui tenait le role d'Alfredo s'est aussi bien débrouillé, bien qu'étant moins comédien et ayant moins le physique du role (plus proche du bon garcon texan que du jeune 1er romantique, alors que Kuznetsova est une fort jolie fille).Le duo du père et du fils “ di Provenza il mar, il suol.... “ était ainsi particulièrement émouvant.Il ne serait pas juste d'oublier de mentionner la prestation du choeur, très enlevé, que ce soit le choeur de brindisi dans le 1er acte ou dans le 2e acte avec le choeur des Bohémiennes et des Matadors.Détail sympathique, le programme mentionnait, en plus des artistes traditionnellement cités, le noms de tous les membres de l'orchestre, classés par instruments, et du choeur, pupitre par pupitre.Pour l'anecdote, alors que je me balladais dans les couloirs du théâtre lors du 1er entracte, je me suis fait apostropher par une dame d'un certain âge, très chic,qui m'a regardée des pieds à la tête en souriant et m'a lancé un “ oh, you should be on stage !” * ( héhé ,moi je veux bien, hein, si jamais le choeur du Boston Lyric Opéra embauche...)* traduction “ oh, vous devriez être sur sur scène !” Mignon, non ? Pour compléter l'anecdote, il se trouve que je portais la tenue que je mets souvent pour les concerts avec le choeur Amadeus, une robe longue en velours noir, agrémentée pour l'occasion d'une étole rouge: la “ diva's touch “ ,quoi ! -
Focus ( or not focus)
Je viens d'apprendre que le CPE a été abrogé en France.
Je ne sais pas si c'est un bien ou un mal, je n'écris pas ce post pour donner mon avis la dessus.
J'avais juste envie de donner un reflet de la manière dont ces histoires ont été percue et traitées ici à Boston.
D'abord, il faut noter que l'info a été relayée, et que les journaux américains parlaient de ce qui se passait en France, au moment où les maifestations et les grèves battaient leur plein : je pense que ce n'est pas si souvent que les médias américains font part de l'actualité française.
Pour l'homme de la rue, vue d'ici , la France était en guerre civile. La plupart du temps, quans je disais que j'étais Française, mon interlocuteur répondait : "oh ! mais c'est la révolution en France " Quelqu 'un nous a même demandé si nous n'avions pas peur pour nos familles "avec tout ces évèmenents dangereux" . Et moi de temperer, "mais non, pas plus que d' habitude, ce sont juste quelques manifestations"...
Descendre dans la rue, ballader des banderoles en criant des sloggans, faire grêve pour s'opposer au gouvernement, ce n'est pas dans la mentalité des gens d'ici. Limite, ca les choque, pour de nombreuses raisons (notamment parce qu'ils ne sont pas enclins à attendre que la solution vienne d'en haut et préfèrent jouer le "chacun pour soi" )
Ils sont étonnés quand je leur dis qu'en France nous avons 5 semaines de congés payés par an ( et encore, j'ai jeté un voile pudique sur les RTT ) , et que j'ai pu prendre 3 mois de congé sans solde sans qu'une lettre de licenciement m'attende à mon retours. Ce sont des privilèges qui n'existent pas ici, comme tant d'autres.
Je me souviens aussi de ma propre expérience de manif d'étudiants. En fac de Lettres, chaque promo avait déja droit à son mouvement de protestation traditionel contre le manque de moyen et la vétusté de l'établissement, mais là c' était autre chose :nous étions en 95, la grande vague de protestation contre le plan Juppé.
Je garde de ces manifs un souvenir assez sympathique, C'était une sorte de fête, on chantait des chansons révolutionnaires en agitant des drapeaux et des banderoles portant des sloggans marrants. Il y avait un sentiment de fraternité joyeuse avec des gens que l'on ne connaissait pas et qui étaient là pour des raisons similaires. Mais au fait :quelles étaient mes raisons? Aucunes. A part cette curiosité de voir comment c'était une manif. En 95, j'avais 21 ans, j'etais étudiante en fac (de psycho, qui plus est !), on m'avait dit “le plan Juppé c'est mal il faut aller manifester contre” et, moitié poussée par la curiosite, moitié sous l'influence d'un certain environnement, j'y étais allée. Je n'avais aucune connaissance réelle de ce qu'etait ce fameux plan Juppé.
Combien, parmi les jeunes et moins jeunes ont manifesté ces derni`res semaines, sont dans ce même cas ?
Combien ont pris le prétexte du CPE pour descendre dans la rue s'amuser, ou manifester leur désarroi, leur peur de l'avenir dans une société qui ne leur offre pas grand chose d'encourageant, ou pour les moins honêtes, se fondre dans la masse pour casser ?
Combien espèrent avoir leur petit mai-68 à eux, (on en a tellement fait quelquechose de romanesque, on a tellement institutionalisé cette révolte ) se fabriquer des souvenirs pour quand ils seront vieux et qu'ils pourront raconter à leur progéniture le bon vieux temps ?
Et, combien parmi les leaders des mouvements étudiants sont là pour fourbir leurs armes et amorcer une carrière politique ?
En même temps, si on n'a pas envie de changer le monde a 20 ans, c'est grave aussi. -Reste à savoir comment, et en quoi on veut le changer .
Mais revenons à nos moutons ( hé hé, justement...)
J'ai jeté un oeil sur les pages internet des médias français pour les comparer aux médias américains.
Dans les journaux français, on voyait à la Une des images des cortèges de manifestants, brandissant des banderoles, la foule bigarée. un cote "festif" ; avec des titres allant plutot dans le sens des revendications. ( "une victoire pour les anti-CPE", par exemple, dans Le Monde)
Dans les médias américains, des photos de casseurs en action, de feux de poubelles, d'un homme couché à terre le nez en sang. Les titres contenaient tous le mot "riot" ( émeute) et les articles insistaient sur la violence et les destructions.
Le journal The Economist offre un article de plusieurs pages et met en couverture le dessin d'un coq tricolore, sur un pied, et les yeux bandés, titré "France faces future" ( la France fait face au futur)
L'article y présente les manifestants comme des conservateurs s'élevant contre toute tentative de changement, et mentionne les difficultés du gouvernement Villepin (en l'occurence) à faire passer ses mesures ou à instiller un quelconque changement. Partial? oui, sans doute. Mais il y a plusieurs sons de cloche ici aussi :en faisant nos courses chez Tradder Joe's, une dame, nous entendant parler francais, nous a interpellés dans la langue de Molière en disant "oh, vous êtes français ! Je serais fière d'être française en ce moment, avec ce qui se passe chez vous "
Mais rassurons nous, il reste un peu d'universalité dans ce monde de brute : la version américaine de Marie-Claire propose les mêmes marroniers que son homologue français.